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Le son de la forêt

Elle est là sans rien dire depuis plus long que je ne suis
Sans rien dire n'est pas exact c'est plutôt que rien n'est bruit
Sous l'ombre cathédrale de son puissant feuillage de mère

Elle bruisse au souffle de sa respiration irrégulière  
Tantôt fachée comme l'océan tantôt légère brillant
De mille paillettes dans la délicieuse valse du vent  

L'accompagnent en choeur ses habitants murmurant les graves
Dans l'immense réseau de ses pieds jusqu'à l'élan de grâce
D'un petit bec sifflant là-haut sur une branche perché

Et les tressaillements furtifs d'un buisson aux aguets
Qui amusent le promeneur du moins tant qu'il fait encore jour  
Car lorsque la nuit tombe chaque son crie dans l'ombre des tours

Des bras noirs s'étirent dans l'épaisseur de l'obscurité
Etouffant autant qu'elle aiguise l'air devenu plus dense
Que la forêt même s'inquiète de son étrange silence  


Cathy De Plée - décembre 2021

 

 

 

 

 

Hommage à Paterson*

   

 
Ecrire sans laisser de trace
Comme une saveur qui passe
 
***
 
En somme ?
Quelque labeur sur la terre
 
*** 
 
Sublime est le poète 
Dont le carnet se fait bouffer par son chien
 
 
 
 
Septembre 2021 - Cathy De Plée

 

*Film et personnage de Jim Jarmush





Pour retrouver le calme

Après moi d'autres yeux
S'étourdiront des paysages
De la beauté de vos visages
Et de la lueur du matin

Après moi d'autres fronts
Plisseront leurs inquiétudes
Méditeront leur finitude
Et se videront dans le vin

Après moi d'autres mains
Effleureront doucement la peau
Aux grains de velouté si chaud
En s'ennivrant de ses parfums

Après moi d'autres coeurs
Palpiteront entre l'ivresse  
Et l'éclat pur la tendresse
Comme bien d'autres avant le mien

 

Cathy De Plée - Mai 2021

 

 

 

L'attente

L'attente est un mystère
*
Coffret de noces offert à  celle
Qui l'accueille sans rien savoir
*
Elle entr'ouve des failles
Et fait germer la force
*
J'y découvre un poisson
Une miette
*
L'enfant inespéré
Dont la forme m'échappe
*
A l'opposé du torrent
Un chapelet de gouttes
*
Une flaque où peut gronder
La peur du précipice
*
Son étreinte me fige
Dans la fonte de son or
*
Coupe d'où je ressors
Nourrie d'un autre sang
*
Transfigurée et pure
Comme une fleur sur sa tige
*
Qui ressusciterait
De ses multiples morts


Cathy De Plée - septembre 2018&2021

 


CATHY DE PLEE _ L'attente_Gus (photo Han Chenxu@Unsplash)

 
 

L'escargot

Tout doucement l'escargot glisse
Sur la longueur de son pavé
Laissant derrière lui une griffe
Brillante de bave mouillée

Il glisse d'une langueur aimante
Sur ce qu'il foule de son baiser
Ne faisant qu'un avec son ventre
Et l'avenue sous lui allongée

Où va-t-il chargé de sa tante
Roulée précieusement dans son dos?
Longue est sa route sage et lente
Sa marche qui semble aller sur l'eau

Son but patiente il a eu vent
De la secrète entente qu'il tramme
Depuis des siècles avec le temps
Pour lui ni précipice ni drame

Il glisse sur son mou pied de peau
D'une lèche dandinante suivant
Ses longs yeux tendus vers le haut
Plus pressés que son pas collant 


Cathy De Plée - avril 2021

 

 

 

Danse, oh danse

A cette nuit qui fut courte
Non de n'avoir pas dormi
Mais d'avoir trop dansé
Je confie mon corps meurtri
De s'être laissé porter
Par la danse, oh la danse

Elle qui hante les âmes éprises
Qui, fébrile, fait pleurer
Pour toujours celles qui se lancent
Corps et âme, nues et pied

Elle qui lie les mains à d'autres
Qui les font tourbilloner  
Pour être un peu plus qu'un soir
Une étoile filante, une fée
 
Elle qui déçoit et qui regrise
Les pas fauchés les bras tombés
Elle qui épuise et puis ravive
Les grands rêveurs d'éternité 


Cathy De Plée 2014 & 2021

 

Musique: anonyme bruxellois du XXe 

 

 
 
 

Notre blason

Il y a les astres et les titres
Facteurs muets de nos destins  
Et les visages dont on hérite  
Persuadés qu'ils sont les siens

Il suffit d'une étiquette
Qu'on reçoit un jour sans raison
Et toute la vie on s'entête  
A honorer notre blason

On se croit faible ou inventif
Meilleur que d'autres ou pire que tout
On se voit morne ou incisif
Tout dépend ce qu'on dit de nous

Vénus me mène à sa guise  
Tandis que Mars te gouverne
Lui c'est Saturne, il agonise
Seul dans son trou, le regard terne

Jeanne est folle et Jean sans peur
L'Histoire nous livre et nous repeint
Portraits en buste aux jours meilleurs  
Parés d'un éternel demain

Faut il accepter ou choisir
Qui l'on est une fois pour toutes?  
Se mettre en boite et puis moisir  
Afin d'endormir les doutes?  


Cathy De Plée - été 2014

 

Musique et interprétation: anonyme bruxellois du XXe

 

 
 
 

Le pigeon

Un peu malingre au bord de la corniche
Où il campe sans dormir depuis tôt ce matin
Il semble écouter le vent clair de l'instinct
Qui le lie à cette invisible niche

La plume hirsute et sa robe sans teint  
En disent long sur sa vie d'errance qui fut riche
De riens Son oeil cave n'est pas de ceux qui trichent
Sans doute ne volera-t-il plus demain

Mais pour l'heure son léger torse bat encore
Dans le vent frisquet du matin il se replie
Epargnant la chaleur de son minuscule corps
Si seul et si petit dans le ciel gris 

 Il lutte sans pouvoir faire le moindre effort
Tout ligoté qu'il est dans ses plumes engourdies
Il lutte pour la force de ce mince filet de vie  
Que son humble courage honore


Cathy De Plée - Mars 2021

 

 

 

 

Déliée

Plénitude d'un moment
Sans rien d'autre que moi
Déconnectée de tout
Si ce n'est de ce parc

Déliée de ces mots si nombreux
Harponeux toujours prêts
A l'attaque

Mains en poche, sans un sac

Seule, les arbres
Seule, les gens, incarnés
Bien vivants

Oh mes pieds !

Quel plaisir ce chemin
Qui ne demande rien
Que marcher et le suivre

A mes yeux enfin libres

Savourez la plongée
Dans la bruine aérée
Où s'achève un peu grise

Cette longue journée

 

Mars 2021 - Cathy De Plée

 

 

 

Et si vivre

Et si vivre
C'était juste faire un pas suivi d'un autre
Poser le pied là où l'on est
Sentir sous sa plante le sol qui rassure
Et puis devant, même si ça craint
Poser l'autre, délicatement
N'étant jamais complètement sûre
D'être sur le bon chemin?

Cathy De Plée - Octobre 2019

 

 

 

c. Gus:

Dans leurs yeux

 

Dans leurs yeux il y a tant d'espoirs
Une plaine qui court à l'infini
Des pluies de perles de regards
Qui parlent de rêves inassouvis

Elle vit sa vie dans ces miroirs
La fillette qui n'a pas grandi
Se réchauffant d'infimes gloires
De reflets vite évanouis

C'est comme puiser à l'eau du puis
Boire à ces yeux qui sont des phares
Bien voir au fond qui a choisi
Puis se déshabiller dans le noir

 

Cathy De Plée - Février 2021 

 

 

 

Gaspard

Te voilà né à la toute fin
D'une année triste comme un soir
On n'osait plus donner la main
Et le bisou se faisait rare

Les rues désertes pleuraient les pas
Des habitants cloîtrés chez eux
Quand les soignants tous au combat
Forçaient l'égard des plus grincheux

Dans ce marasme d'incertitudes
L'essentiel ne s'est pas perdu
L'entraide contre la solitude
L'amour comme espoir résolu

Tout ça a triomphé et toi
Petite lumière tu es né!
Comme il te va ton nom de roi   
Portant la joie dans nos valées

Tes parents l'avaient bien compris
Quand sans pleurer sur un dehors
Inaccessible ils ont choisi
De filer les mailles d'un trésor 

Bien plus qu'un grand feu d'artifice
Que mille million de mille pétards
Ils nous ont offert un solstice 
Car te voilà cher Gaspard !

 

 Le 2 janvier 2021 - Cathy De Plée