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Mon âme

C'est de l'air qu'il te faut
Entre les pilones denses
Une autre manière de voir  
A l'intérieur

Oublier un instant la presse
L'heure
Arrêter de vouloir
Et surpendre
Jusqu'au rythme de ton coeur

Dans l'entre du silence
Crépite une lueur

Ecoute

Il est tard
Mais la flamme te boulverse
L'ordre n'a plus d'ordre
La peur te déssère

Ruissèlement de lumière
Sur la liberté de ta chair
Feu de ces douleurs
Feu de vouloir plaire

Tout se passe en dedans
Dans la douceur solaire
D'un nouveau paysage

Là un imperceptible mouvement lent
T'attend
Un sourire te détend

Un vent frais te caresse
Et t'enveloppe
D'une incroyable nouveauté

C'est l'oeil aimant

Lui qui n'a pas d'âge
Mais toute la sagesse
De l'hiver au printemps

Ouvre lui la porte
Que par lui tu vois
Que par lui tu sois

Mon âme

 

Cathy De Plée- Automne 2020

 

Ode à la friche

Parce qu'il faut qu'ici reposent
mes scrupules de laisser planer
ces fleurs d'incisives beautés
qui resteront vierges de glose

Parce qu'hier ne force à rien
parce que demain n'est pas encore
j'accepte de joindre les mains
vides sur ce silencieux trésor

 

Cathy De Plée - septembre 2020




Quitter le stade

Avenues tendues entre deux pôles d'angoisse
Et ces mails qui attendent mes clics en sueur
Toujours savoir que l'étau du mieux demeurre
Serré au col de mes pas quoi que je fasse

Mitrailleuse mosaïque de regards opaques
Juste vos noms ne me disent rien de vous
Virtuelles présences et pourtant elles claquent
Vos remarques surgissant de ces écrans fous  

Dire que l'on s'aime au dessus de toute chose
Mais la gorge nous serre de faire tout si mal
Terreur de déplaire sous un orgueil brutal
Ronge nos clartés toute ravinées d'arthrose 
 
Quand s'arrêtera l'impérieuse cavalcade
Du plus fort alors que tout et tout le monde tombe?
Fragiles coquilles offertes aux coups du monde
C'est l'heure de craquer et de quitter le stade


Cathy De Plée - été 2020

La lueur secrète

Comment percer les brumes inutiles
Et les branches indiscrètes? 
Comment tailler dans le roc
Jusqu'au trésor ultime?

Débarrasser des peurs
L'écorce que tu t'es faites
Eplucher les armures
Atteindre la lueur secrète?

Des moments fulgurants
Aux accents les moins poétiques
Retrouver le sourire
D'une familiarité cosmique

De devinettes en découvertes
Nos cartes sur la table
Ont été bien battues
Et tant de barricades!

Es-ce toi qui t'ombrages
Aux crénaux de ta tour
d'une hauteure abyssale
Ou moi qui vois mal?

Le temps me pique les yeux
Comme la mousse fait son oeuvre
Et je revois comme beau
Tu es sous ta barbe en fleurs


Cathy De Plée - Juin 2020 


Dans le cocon

Dans le cocon de nous deux
Cloitrés depuis des semaines
On se file une histoire simple
Qui ressemble à celle des vieux

Lent et silencieux tissage
Fabriqué de l'intérieur
Par l'essence de nos chaleurs  
Soupirant de longs adages        

Seuls à seuls dans cette transe
Nul besoin de beaucoup dire
C'est le temps qui nous étire
Et décuple nos présences

Ce temps vide et glonflé d'air
Qui exhale l'essentiel
Du plus pur au pire fiel
De nos vies mises en jachère

A comme dissipé l'ailleurs
Et dicté sa règle sainte
Etoilée de nulle contrainte
Dans sa longue traînée d'heures



Cathy De Plée - Mai 2020







La ville a chaud

Tous ses habitants assemblés
Forment les maillons de son coeur

Comme jamais, ils sont restés
Cousus à leur quartier et dans son sein à elle
 
Les voilà comme des fleurs naissant des pavés
Guidés par le soleil d'un printemps trop ardent

Pour l'heure. Alors, pour ne pas les perdre
Elle leur donne tout, sa chair, son âme, son sang

Emue par leur présence
Elle offre à ses enfants des vacances de pauvres

De ses maisons, de ses cours, de ses talus, de ses parterres
Elle ne garde rien, elle n'épargne rien

Elle veille à ce qu'en ses entrailles
Ses enfants qui ne sont que voisins forment une même famille

La sienne. Même s'ils se connaissent peu
Ils l'ont en commun elle, leur mère, leur patrie, et peut-être leur amie

Elle s'émeut d'ailleurs de les voir attentifs
A ses rues oubliées qu'ils redécouvrent seuls

Empêchés de partir  pour arrêter l'épidémie
Ils réapprennent à vivre lentement, patiemment

Un peu comme leurs aïeuls ceux qui vivaient cloitrés
Et n'avaient qu'une demeure

Mais les temps ont changé.
De sous son marais, de sus ses clochers

Elle les regarde tourner, penser, mourir.
Beaucoup meurrent.

D'autrent courrent. En ses murs, tant de vies
Confinées dans la peur et l'ennui cherchent une porte

Que veulent-ils donc fuir?
Sous son couvre-lit de silence doucement elle respire

Comme elle le fit toujours 
Infusant leurs désirs et filtrant leurs malheurs

Elle respire pour qu'en elle s'accomplisse
L'ancestrale alchimie

Qui renouvellera ses forces
Et ravivra ses couleurs


Cathy De Plée - Bruxelles, Avril 2020

A mille mètres de chez moi

Si je devais rester à mille mètres de chez moi
Confinée pour toujours, plutôt que parcourir
mon regard plongerait et excaverait l'endroit
de l'envers qu'il n'avait jamais su découvrir 

Fléchissant son désir, il fouillerait les sols
qu'il ne fit autrefois non voyant que fouler
Centuplant le détail traînant dans une rigole
Il redonnerait la vue aux marches fatiguées

Le temps aurait le rythme d'une place du midi
où s'écouleraient tranquilles les actes attendus
A la fontaine goutterait le chrono allangui
des vas et viens dociles des voisins bien connus

Je repasserais sans doute même mes taies d'oreiller
soignant le moindre plis au fer doux d'une caresse
Que mes gestes retrouveraient l'art de s'étirer
dans l'espace amplifié d'une sereine ivresse

Bien sûr la nostalgie des horizons nouveaux
m'étranglerait souvent, je ne suis pas si sage
Mais je suppose qu'avec le temps c'est vers le haut
Que mes yeux dans les étoiles creuseraient leurs sillages


Cathy De Plée - Mars 2020

Qu'as tu fait à la fleur?


respiration tranquile au filet d’un nuage
qui veut rester cristal au mur transparant
d’un corsage

tu le soulèves encore, ce torse blanc et sage
précieux coffret qui bat
les minutes de son âge 

jusqu’à quand glisseras-tu
air que l’on inspire, air que l’on expire 
sans qu’on te remarquât ?

dans nos petits poumons nage
l’inquiétude qui s’accroche à nos cages
et nous serre un peu trop les côtes 

dehors, les souffles sans visages
prisonniers de leurs cols
levés comme des ramparts 

les masques qui nous parrent
à la croisées des yeux
qu’une moindre toux affole

qu’as tu fait à la fleur
souffle pourtant si pur
pour semer la terreur et pétrifier nos villes ? 

Toi qui es la vie même
primordiale et fragile
sauras-tu la garder ta régulière rime ?


Cathy De Plée - Mars 2020



Venise en hiver

Venise en hiver
C'est le ciel qui dissout la pierre
Murmurée
Dans un rêve
Troublant


C'est le brouillard qui désagrège
Les clochers
Et fait disparaître
Les amants

Les ruelles suintent le blanc  
Accroché à l'air ambiant
Comme un fin nuage de neige
Où s'éteignent en silence
Les passants

Le soir venu
Ce qu'on entend
Dans les fines artères
C'est moins Vivaldi que Wagner

C'est l'envoûtant mystère
D'une forêt sans arbres  
Émergeant de la brume
D'un conte allemand

Venise en hiver
Pleure sous son masque insolant
Et tout en dormant
Ricane sur son présent
Délétère

Les canaux pris au piège
De leur passé sacrilège
Fument calmement
Le froid pénétrant
De la lagune solitaire

Et nous
Dans cet étrange univers
Arrêtons le temps
Sur la plage révolue   
Du Lido désert


Cathy De Plée - Février 2017