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Marthe et Marie

Comme je te comprends Marthe, il y a tant
De certitude à  travailler longtemps
La pâte pour qu'elle fasse du bon pain

Il y a tant d'apaisement dans nos mains
Qui lavent l'enfant Tant de foi dans
L'accomplissement Tant de réconfort

Dans nos mains qui tissent patiemment Nos mains
Qui pétrissent, fabriquent et se serrent Nos mains
Qui se tannent à faire et payent de leur sang

Et comme je te comprends Marie de faire
Croître le vide au cloître de tes prières
De n'utiliser tes mains qu'à offrir

Du rien qui est aussi du plein, de lire
Dans le silence la justesse qui sert 
A guider l'assoiffé, d'épouser l'air

D'écouter l'eau, la rivière, de te taire
Et puis rire et prier encore sans lyre
Mais avec le coeur grand comme l'univers


Novembre 2018 - Cathy De Plée

Les premiers froids

Les premiers froids tombent sur la ville
Dans la rue les gens se font discrets
Le dos courbé, le pas servile,
Les yeux bas, ils savent où aller

Les premiers froids sentent le travail
Le café chaud dans les bureaux
L'odeur de soupe qui vous entaille
L'estomac vide, il est si tôt

Ils tombent comme un voile alourdi
Qui vous enveloppe dans une écharpe
Dehors il fait toujours nuit
On parle bas, la lune se tarde

Les rues s'éclairent aux réverbères
Les tentures s'ouvrent sur le jour noir
Les fenêtres brillent comme hier soir
Sauf que bientôt il fera clair

Ce moment là surprend toujours
Les lampes s'éteignent sans rien nous dire
Pour passer le flambeau au jour
Qui s'est levé sans prévenir

Les bouches se prolongent en fumée
Comme la vague souffle son écume
Et le silence accueille inquiet
Dans l'air épais ces cris de brumes

Les premiers froids annoncent la suite
Les cols roulés, les arbres blancs
Certains aimeraient prendre la fuite
Moi étrangement je les attends

Octobre 2015 - Cathy De Plée

Vue de Florence

Il y a du monde sur l'esplanade
De San Miniato al Monte

Les couples en balade
Sont venus diluer les dernières heures de l'été
Dans les couleurs orangées de la ville

La ville chère et altière
La ville peinte et sculptée
Que tous locaux touristes étrangers sont venus admirer
Depuis les hauteurs de l'ancien monastère

Un homme la soixantaine d'origine africaine
Est assis sur un banc

Les bras ballants il regarde
Et dans son regard je lis
Toute l'inspiration du poète
Tout l'émerveillement de l'enfant
Toute la béatitude du croyant

Bouleversé par la beauté du paysage

La lumière soupire

L'air encore doux relie chacun de nous
Dans ce moment fervent
Qu'on voudrait ne jamais oublier

Florence est un rendez-vous
Avec la vie idéale

Un rendez-vous
Que tout être humain
Rêve de s'offrir ou de partager
Avec une personne chère et aimée

Au moins une fois dans sa vie

Désarmé
Qui qu'on soit
On est là médusé parmi la foule
Nostalgique
De ce qui sent déjà  la fin
D'un moment d'exception

Toute cette grandeur
Toute cette émotion
Qui me barraient la gorge à en pleurer
Sur l'Esplanade de San Miniato al Monte

Et bien je les ai vues ce soir là
Non dans l'apogée étincelante
Des nervures du dôme

Mais dans les yeux tristes et profonds
De ce vieil Africain
Et de tous ces inconnus rassemblés

Assis sur leur banc
Ou debout enlacés
Ils regardaient comme moi
Florence

Florence
Qui s'en allait au loin
Dans une vision intense
Vers l'horizon immense
D'un pays rêvé d'où personne ne revient


Cathy De Plée - Novembre 2018 

Conforts provisoires

J'aime me blottir au confort provisoire
D'une banquette de tram, assise au chaud
Entre deux dames, contemplant au hasard
D'une vitre un nez entre des gouttes d'eau

J'aime le gargouillis que font les tuyaux
Pour chauffer la maison quand vient le soir
Petite musique imitant le ruisseau
Qui susurre le filet d'une longue histoire

J'aime la lueur irradiante de l'halo
Qui attendrit les contours du brouillard
L'odeur d'un lit défait le matin tôt
Ou le chant du café dans la bouilloire

Minuscules et passagères caresses
Que d'aucuns jugent dérisoires Scories
D'existence louant la délicatesse
De vivre peu importe où mais ici

J'aime la probité de vos gestes
Qui témoignent d'une secrète harmonie
Et la manière dont vos baisers naissent
Et se glissent dans les interstices de la vie



Cathy De Plée - Novembre 2018

Mon époque

Je me dis souvent que je ne suis pas née à  la bonne époque.

Crachée des hauts parleurs à deux cents décibels, la musique d'aujourd'hui m'agresse. Comme me brûlent les tripes ce qu'on nous vend sous vide et toujours trop salé, toujours trop sucré, additionné de lettres impossible à  manger. Pour se déplacer, le combat des voitures est un bon résumé de l'esprit si petit qui fait chaque jour se lever nos milliards d'ennemis: on naît pour gagner, seul, et le plus vite possible la floche qu'au moulin il fallait déjà  attraper. Et la vie est si courte qu'il faut la consommer; à  fond les pots d'échappement et les pistes de décollage; à  fond les vitamines et les sels minéraux qui vont booster nos corps et shooter nos cerveaux. Quels que soient nos problèmes et nos ambitions, on trouvera toujours, et toujours nous trouveront les pilules plastiques capables de nous assainir et de nous renouveler. C'est la Science qui le dit du haut de sa chaire de vérité.
Alors sors de ton lit, fonce, et win, les dents et le poing serrés; prends des muscles dans une salle de sport; DETENDS-TOI en faisant du yoga; baise; sors; et prie un peu vu que la Science encore a montré que c'était bon pour toi.

Face à ça moi je suis un Indien; un Visiteur maladroit arraché de son monde qu'on regarde d'un oeil pers. Sans repères autres que ceux de son imaginaire tourné nostalgiquement vers l'Ancien, je vis en mes remparts, connectée à ces âmes qui hantent les châteaux, les églises et les parchemins.
Et je file et je vole des siècles et des siècles en arrière où il me semble avoir bien plus vécu que jamais.

Petit point posé sur une ligne du temps dont la flèche est tombée, je ne vois étrangement que derrière s'ouvrir et s'étendre l'allée familière d'une possible éternité.   

Cathy De Plée - août 2018

Âmes légères

                                                                                A mes soeurs, dans l'adversité

Petites âmes légères ignorantes des poids
Et mesures de la terre

Volez et tournez tout au bord de vos ailes
Et criez ce qui ne parvient pas

A faire de vous des êtres façonnés comme le sont
La plupart des corps

L'éther vous dessine diaphanes et lointaines
Prisonnières d'un voile

Bleuissant sur la pointe d'un éternel aurore
Vos contours se dérobent

Vos robe s'évaporent et coule dans vos yeux
La rivière de l'ailleurs

Vous dites n'avoir pas peur étranges fleur de lys
Les pétales de votre âme sont hautes

Au seuil de vos rivages vous ne cueillez pourtant
Que d'anxieuses caresses

Et quand froids sur le sable les flocons de vos corps
Fondent sans chaleur

Décharnées de tristesse vous pleurez qu'ils ne soient
Quelques gouttes de beurre


Novembre 2018-Cathy De Plée

Retour de vacances

La maison me paraît petite
Et les meubles mal assortis
Tissus usés, boiseries, sols, vitres
Tout semble couvert d'un fin glacis

Sont-ce mes yeux dépaysés
Qui flairent partout la poussière?
Cette odeur fade de vieux plancher
Et de murs qui ont manqué d'air?

L'absence dort sous un drap lourd
Qu'imbibe le vide d'une fausse fuite
L'immobile suspension des jours
Aurait donc effacé la suite!

Pourtant nous revoilà  ici
Parmi les bibelots blancs et morts
Brisant sans encore faire de bruit
L'épais silence qui les décore

Il pourrait neiger du plafond
Sur ce calme et profond hiver
Où gèlent les miroirs et fond
Ma pâle présence d'étrangère

Mon compagnon lui tarde moins
A imposer aux ombres lasses
La turbine de ses vas-et-viens
Et le gong des gestes efficaces

En quelques mouvements sa valise
A rejoint le haut de l'armoire
Et déjà  coule dans les prises
Le jus qui réchauffera nos soirs

Quant à moi il me faudra bien
Quelques jours avant de retrouver
Ma place. Ralentir le train
Vaincre la glace et déposer

Dans leur berceau mes alluvions
Alors enfin, page après page
Je calmerai mes émotions
Et laisserai s'éteindre mon voyage


Novembre 2018 - Cathy De Plée

Tout est là


Tout est là, au coin de la rue
Dans ce parc que l'on a foulé cent fois
A s'en lasser la vue, à s’en user les pas

Tout est là, pris au dépourvu
Dans les reflets blancs du plus beau des moi
Révélé par la fleur que l'on n'attendait plus

Tout est là, l'odeur ne ment pas
De ce qui vit, murmure et se déploie
Aussi haut que cet arbre dans ce ciel de soie

Tout est là sous les arches claires
Et faussement connues de ce sanctuaire
Qui s'est enfin ouvert pour m’apprendre la foi

Tout est là, sobre, élémentaire
Dans ce sourire bienveillant, dans ces mains
Qui se serrent d'un impulsif élan, tout est là

Dans ces yeux sincères où se noient
Mes pensées, ma colère, et où je viens
Apaiser mes tourments et tout ce brouhaha

Oui, assurément, tout est là
Dans le silence des gestes anodins
Qui se pâment d'ennui sous nos toits et pourtant

Tout et là, dehors et dedans
Certains jours opaque et puis transparent
Dans l'aube inaugurale d'un serein tournant

Tout est là tout petitement
Et un jour de rien, marchant son chemin
Pour la centième fois, ce jour là enfin, on voit


Mai 2018- Cathy De Plée

Fin de l'été

Raides et patients
Les premiers jours de septembre
Ont gobé la fin de l'été

Eté radieux - chaleur si tendre-
Toi qui donnas à mes pas
La nonchalance d'une courbe

Puisses tu répandre toute l'année
Ta valse lente
Dans mes veines bleutées



septembre 2018 - Cathy De Plée


















Son silence

Sa présence est feutrée
Presque imperceptible

Dans cette même pièce
Où je danse, lis
Et regarde la télé
Il est là
Derrière son pc
Caché par sa grande chaise
Qui lui sert de rempart et de bouclier

Quasi toute la journée
Calme et fidèle
A l'image de l'homme discret qu'il est
Il habite son monde
Sans paroles et sans gestes
Héroïquement muet 

Quelques fois il se lève, d'un trait
Pour aller pisser
Ou grignoter
Pendant quelques secondes
Un chips ou du saucisson sec
Qu'il a finement coupé

Puis il retourne à son périmètre
Emmenant avec lui
Un verre de coca ou d'ice-tea
Qu'il boit à  petites gorgées
De ses mains invisibles

Moi, voisinant sa tour invincible
J'ai parfois envie de crier
De me jeter contre ce mur de silence
Et de faire éclater cette bulle
Dont il me tient
Si hermétiquement éloignée

Et parfois je le fais
Sans conscience
Echevelée
Pour regretter, quelques minutes après
D'avoir déversé tant de mots
Simplement pour calmer
Cette terrible angoisse
D'être de lui inexorablement séparée 

Alors l'air un peu penaud
Je retourne à ma danse,
A mes livres, ou à mes rêves d'oiseaux
Et je tâche de savourer
Sa paisible présence 
Et ces étranges moments à deux
Tout cerclés de silence

Juillet 2018 - Cathy De Plée

Les pensées

Souvent je pense à ces pensées
Qui sauvages traversent nos esprits
Ces mots qu'on regarde s'envoler
Comme des silences qui s'écrient

Où vont-ils? Se joignent-ils aux pets
Lâchés par notre âme en dormant
Ou sont-ils le creuset où naît
Le plus beau des plus grands des chants?

Et puis où vont tous ces secrets
Que les morts emportent avec eux?
Meurent ils bêtement étouffés
Dans la terre ou dorment-ils au creux

De l'univers, créant un champ
De rêves et de passions immense
Où puise la chair des vivants
Pétrie de leur noble patience?

Enfin je pense à cet amour
Qui soulève parfois ma poitrine
Est-ce que ce corps qui l'entoure
Serait l'écrin qui le termine?

Ou s'en sert-il comme d'un tremplin
D'où il s'élance d'un bond puissant
Pour exploser d'extase enfin
Et t'envelopper tout doucement?


Septembre 2018 - Cathy De Plée

On n'y voit rien

On n'y voit rien.
Le regard ouvert ou fermé
On avance

Le brouillard  est dense
Et le chemin
Pourvu qu'il y en ait un
Recommence
A chaque foulée

L'inconnu est immense
Et mince la chance que j'ai
De prédire la couleur de l'aube

Un grand historien d'art le disait
"On n'y voit rien"(1)

Le passé ensorcelle nos pensées
Mais qu'en savons nous?
Rien

Les tableaux des maîtres anciens
Gardent leurs secrets

Comme le présent nous ceint
D'un rire de fumée
En s'évaporant sous nos pieds

Cathy De Plée- Août 2018


(1) Titre d'un livre de Daniel Arasse

La banquette en pierre

C'est une banquette en pierre ménagée dans le porche
D'une église flamande. Son siège n'est plus droit:
Il baille, fatigué et creusé dans sa roche
Par la bure des pellerins qui passaient par là

Depuis cinq cent ans qu'elle accueille culs et saccoches
Sa robe grise et rêche a pris le noir éclat
D'un beau marbre lustré. Et elle brille sous la torche
Ou quand par beau temps elle chauffe comme du bois

Pourtant qui la voit, là , dans l'ombre anonyme
Des années qui s'égrainent aux fins doigts des prières?
Plus humble que la Vierge, qui donc la vénère?

Qui voit dans son flanc creux la preuve du mystère
Qui draine ici les foules? Sagesse sybiline
Déguisée en mendiante, accepte ici ton hymne


Cathy De Plée - Juillet 2018

A ces jours ratés

A ces jours ratés
Qui se terminent aussi mal
Qu'ils ont commencé

A ces jours ratés
Où l'on mime des histoires
Juste bonnes à pleurer   

A ces jours où le goût
De soi même et de tout
Sent le rance et le renfermé

A tous ces jours si longs
Où l'on fait, et défait, sans rien faire
Ses hésitations

A ces jours sans boussole
Où l'on erre dans sa vie 
Aussi triste qu'un saule

A ces jours de mouron
Où l'on ronge son ventre
Les doigts maigres et trempés de poison

A ces jours nés pour rien
Qu'on éteint, qu'on oublie
D'un méprisant revers de main

A ces jours qu'on croit vains 
Mais qui n'en sont pas moins
Des pages de notre vie

Je dédie une pensée
Une larme, une bougie
Et un matin fleuri


Août 2018

Le papillon

Il a trouvé un papillon
Posé sur le bord chemin
Il voletait quand nous marchions
En rêvassant main dans la main

Il était de ceux ordinaires
Que l'on rencontre dans nos pays
De ces trois teintes familières
Que sont l'orange, le brun, le gris

Pourtant ce fut une licorne
Un éléphant tombé du ciel
C'était pour lui bien plus qu'un morne
Insecte qui battait des ailes

Ce fut son frère, son âme, son double
Un petit miracle de chance
Qui croisait soudain sa route
En dansant avec élégance

Il lui disait comme les heures passent
Et comme la vie ruisselle vite
Dans nos artères qui se crevassent
Et que la vieillesse se mérite

Il lui disait aussi "Dérange
Ce que tu prends pour vérités
Car si les fausses richesses s'engrangent
Ton âme elle est liberté"

Retrouvant bientôt ses esprits
Mon amoureux prit de sa poche
Ce téléphone qui le suit
Comme l'ombre à la lumière s'accroche

Et d'une photo il captura
Cet être fier et volatile
Qui semblait lui parler tout bas
Et lui rappeler qu'il est fragile

Je crus que ce serait la fin
Du charme que ce ravissant
Messager venait en chemin
De nous jeter en frémissant

Mais le ravissement dura
Enveloppés du châle soyeux
De ce moment si délicat
Nous nous sentîmes plains et heureux

De ce présent que seules les ailes
D'un papillon peut faire jaillir
De ce présent si rare, si frêle
Qu'il nous exhorte à cueillir


Août 2018

Ilot sacré

La mère dit: que ne sors tu pas?
Il y a tant de fruits à cueillir !
La fille se tait
Elle préfère se recueillir

***

Ilot sacré
Ceins moi d'une barricade
Ferme les accès
Qu'en toi seule je m'évade

***

C'est ma chambre nuptiale
Sans lit à partager
Où lentement je me pare
De mes plus beaux attraits

***

Je creuserai en moi
La caverne incertaine
Lieu de tous les dangers
Et d'émerveillement

***

Rien ni personne n'y entrera
J'y demeurerai comme à mon premier jour
Naïve éternellement
Jeune et vieille sous mon voile de lin

***

Au delà du ciel brillant
De cette sainte cour
Je pourrai partager
Et donner chair de mon sang

***

Les religieuses du Moyen-Age
Fabriquaient des jardins
Où s'émouvaient leurs âmes
De quelques bouts de rien



Cathy De Plée - juin 2018

Solstice

Lumière nacrée
Caresse le ciel de lait
La journée comme un souffle
A réveillé les branches

Feuilles froissées
Dans les rayons dorés
Les heures tôt à la ronde
Ont débuté leur course

Courbe pâle
D'un vent doux qui s'étire
Traverse le voile
Sans encore m'éblouir

Matin matinal
Pousse de jeune été
Verse ton teint d'opale
Sur cette longue journée


Cathy De Plée - 27 juin 2018

La Brabançonne

Douce Belgique
Qui connait ta chanson?
Ton hymne muet
Qu'un malheureux confond
Avec la Marseillaise?

Jetés dans l'arêne
A de rares occasions
Tes clairons
Font sourire comme le Mannekenpis

Ta-tam-ta-tam

Tes coudes hénissent
Leur fanfare de scène
Sur le bidon gonflé
D'un bourgmestre strié

Noir, jaune, rouge
Oh gloire à  toi, Oh oh mè-è-re chérie

Les Diables en piste
Bien droit se taisent
Ou remuent des lèvres
Une parole sur deux

En flamand, en français
La foule se lève
Pour toi Belgique, oh oh vai-ai-ne nation?

Ici, on se sent moins fiers
Que cons
Ah-ah
Par tradition

Un peu comme la bière 
Qui aide à chanter

Le Roi, la Loi la Liberté !

Forts et unis
Quand il s'agit de s'amuser

On est heureux
Les chapeaux crient
Dans les rangs débraillés

Ici peu de mains posées
Avec cérémonie
Sur le blouson

Juste une envie de pousser
Le Roi, la Loi, la Liberté !

Et partager, à plein poumons
Ces quelques notes
Qui nous volent toujours
Un frisson

Ta-ta-tam.


Cathy De Plée - Juin 2018

Couple

Il est une île au milieu d'un grand nombre
Constituée de nos corps enlacés
Terre isolée de lumière et d'ombres
Il mêle en son graal nos deux destinées 
Rêvant chacune d'être le feu et l'onde   

J'aime le voir comme un havre de paix
Havre de mai où fleurissent nos désirs
J'aime aussi voir son mât ivre tanguer
Quand nos egos calcinés se déchirent
Et puis vacillent pour se réconcilier

Nacelle fragile et toujours à vendre
Quand ses bras se refusent à tout autre lien
Que la force et le courage de s'entendre
Voilier bleu bravant les temps incertains
Laisse les flots amoureux nous surprendre

Paysage de Gauguin où s'enfantent
Tant de rêves remontés des eaux troubles
Du lac. Molleton soyeux où déchantent
Les cauchemars que toi seul oh couple
Parviens à calmer d'une voix rassurante

But ultime? Leurre intime ? En toi la mer
Vient refluer ses doutes et ses espoirs
Reviens, non, pars! Couple, phare de mystère
Quelle coupe cruelle tu nous as fait boire?
Quel enivrement que ton vin amer!

Quand dans notre univers lisse glissent
Sur tous ces écrans nos seuls doigts vivants
Tu es l'unique lieu où se tissent
Encore les peaux; où l'on pisse où l'on sent
L'odeur des fluides et des reins qui se hissent 

Mais couple, tu vis aussi de moins d'éclats
Dans le silence feutré de ces moments
De rien. Quand il pleut dehors sur les toits
Et que sans fard, sans histoire, doucement
Je me blottis à tes soirs un peu las


Cathy De Plée - Juin 2018

Gloire et misère d'un volcan de Sicile - Les touristes

Tel un immeuble de banlieue en pleine mer
Le bateau colossal menait calmement
Ses centaines de curieux venus prendre l'air
Non pas vers le large mais vers l'évènement.

Les moins hardis se tenaient aux fenêtres
Frite et coca en main, un peu comme chez eux,
Les autres, stockés sur le pont comme des bêtes
Cuisaient satisfaits sous leur baume huileux.

Lunettes déployées, fausses ou vraies, chacun
Sur son trente et un de plage mesurait
A l'aune implacable du bon goût commun
Ce qui de les autres le distinguait

Le bateau calmement avançait, croisant
Sur son passage d'autres foules compactes
Amassées dans des vaisseaux concurents
Qui elles aussi s'en allaient au spectacle

Sur le pont l'impatience commençait à poindre
Quand, en plein milieu de sa course l'appareil
Ralentit. Les moteurs feignant de s'éteindre
Firent machine arrière et, imitant le ciel,

Les flots se calmèrent, laissant le balotti
Bercer les curieux qui d'un tacite accord
Se pressèrent telle une masse d'ennemis
Bêchant chacun sa place au plus près du bord.

Le spectacle allait bientôt commencer.
Sortie des entrailles métaliques, une voix
Racla en trois langues une invective usée
Sur le ton rapide d'un chef aux abois.

Heureux bien que serrés, chacun est fin prêt.
Quelque part derrière la butte un soleil rouge
Tout seul s'éteint, quand soudain un petit jet
S'esclaffe. Ca y'est! La foule d'un seul geste bouge

Emerveillée. Les yeux clos, elle lêve les bras
Et pour remercier le volcan bien dressé
Bombarde de flashes le petit crachat
Qu'elle est si fière de pouvoir capturer.

Le spectacle est fini. Sur le pont vibrant
La foule se disloque et le bateau repart
Laissant derrière lui les remous, le volcan
Et le soleil tombé dans l'horizon noir

Le pont se vide. Les places aux fenêtres, chaires
A l'aller, accueillent désormais les baîllements
Et les coudes, et les yeux des célibataires
Faussement plongés dans leur reflet brillant

Chacun se réjouit déjà  d'être à quai.
En attendant, les souvenirs défilent
Sous les doigts habiles des voleurs satisfaits
D'avoir retrouvé leurs appareils mobiles 

D'ici quelques heures tous les amis verront
Le volcan, le ciel bleu et la mer
En trente exemplaires, tandis que sur le pont
D'autres foules regarderont, les bras en l'air


Cathy De Plée -  Printemps 2016

Le moineau


Il sautille et pépie doux comme l'air
Devant nos pieds lourds et nos mains géantes
Curieux de tout il s'affole il s'affaire
Entre sol et branches, les ailes frémissantes

Petit pauvre aux plumes couleur poussière
Il fait d'une miette un festin. Et il chante
O il chante, un peu comme l'humble espère
Manger son pain mais de l'eau se contente

Magnifique petit oiseau puise ton vol
Hésitant inspirer les trop sûrs d'eux
Et dissuader nos vaines paroles

Beau petit moineau, apprends nous l'envol
O délicieux, des coeurs simples et heureux
Dans la suite de tes petits sauts pieux 





Cathy De Plée - Juin 2015









Fragile

Fragile comme le moineau
Qui n'a que son chant
Et quelques vers
A partager




Cathy De Plée















Le passé

Somnambules du présent
Torpillés de doutes
Hier est tellement séduisant
Quand il nous tend sa route


Cathy De Plée - Juin 2018






Mes os

Mes os, mes chers os, trop nombreux, trop saillants
Dans ce corps timide qui voudrait n'être qu'air
Je ne vois que vous, je ne sens que vous
Remuant sous ma peau vos pics intransigeants
Prêts à percer ce voile qui me tient lieu de chair

Où est donc passé le liant? Où s'est enfoui
Le nerf sensé irriguer de vie la vie
Et réchauffer mon sang comme le fait l'orgue au chant?
Hargneux gamins cognant bassement des genoux

Auriez vous réussi à dissuader l'esprit?
Auriez-vous choisi de faire triompher le fer
Et d'installer la mort au coeur même de la vie?
Mais non, voyez, une force d'en haut sur vous
A soufflé. Et vous vous relevez, vivants
Prêts à faire danser la chair qui vous avait fui


Inspiré d'Ezéchiel, 37, 1-14

Cathy De Plée - mai 2018

La dinde de Goya

Dort-elle ou est-ce son dernier soupir?
Vénus animale dont le corps s'étire
Avec nostalgie vers un ciel éteint
Elle s'offre, gorge intacte, aile en désir
Telle une femme nue qui n'attend plus rien

Les yeux fermés sur un rêve brisé
Le sein figé dans son manteau de geais
Elle repose. Et le sol est sa couche
Et ses jambes du bout des ongles touchent
Ce même panier qui lui sert d'oreiller

Et où, avoue-le spectateur, tu la vois
Déjà déplumée. Toi qui dans cent ans
Encore du regard la dégusteras
Tu ne cesses d'expier ce crime que Goya
Dément, commit par pitié en l'aimant


Cathy De Plée - Avril 2018



Francesco Goya, El pavo muerto, Madrid, El Prado

L'écureuil



Comment égaler ton agilité
Petit écureuil, toi qui vis gracile
Au bout des branches sans faire ciller
La moindre feuille? Mes doigts malhabiles
Trébuchent pauvrets sur l'ordinateur
Quand toi furtivement tu files et glisses
Sur l'écorce et la mousse tel un voleur
Affolé par sa propre course. Malice
De tes petites pattes rousses qui s'agrippent
Et dévorent leurs provisions d'automne,
Diablerie de ton oeil jais qui palpite
Et attrape d'un trait mon oeil d'espionne
Tu déposes sur mes lèvre un sourire
Chaque fois que tu réveilles l'enfant
Qui jadis en t'imitant faisait rire
Et rayonner le coeur de ses parents


Cathy De Plée - Janvier 2018