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Les premiers froids

Les premiers froids tombent sur la ville
Dans la rue les gens se font discrets
Le dos courbé, le pas servile,
Les yeux bas, ils savent où aller

Les premiers froids sentent le travail
Le café chaud dans les bureaux
L'odeur de soupe qui vous entaille
L'estomac vide, il est si tôt

Ils tombent comme un voile alourdi
Qui vous enveloppe dans une écharpe
Dehors il fait toujours nuit
On parle bas, la lune se tarde

Les rues s'éclairent aux réverbères
Les tentures s'ouvrent sur le jour noir
Les fenêtres brillent comme hier soir
Sauf que bientôt il fera clair

Ce moment là surprend toujours
Les lampes s'éteignent sans rien nous dire
Pour passer le flambeau au jour
Qui s'est levé sans prévenir

Les bouches se prolongent en fumée
Comme la vague souffle son écume
Et le silence accueille inquiet
Dans l'air épais ces cris de brumes

Les premiers froids annoncent la suite
Les cols roulés, les arbres blancs
Certains aimeraient prendre la fuite
Moi étrangement je les attends

Octobre 2015 - Cathy De Plée

Vue de Florence

Il y a du monde sur l'esplanade
De San Miniato al Monte

Les couples en balade
Sont venus diluer les dernières heures de l'été
Dans les couleurs orangées de la ville

La ville chère et altière
La ville peinte et sculptée
Que tous locaux touristes étrangers sont venus admirer
Depuis les hauteurs de l'ancien monastère

Un homme la soixantaine d'origine africaine
Est assis sur un banc

Les bras ballants il regarde
Et dans son regard je lis
Toute l'inspiration du poète
Tout l'émerveillement de l'enfant
Toute la béatitude du croyant

Bouleversé par la beauté du paysage

La lumière soupire

L'air encore doux relie chacun de nous
Dans ce moment fervent
Qu'on voudrait ne jamais oublier

Florence est un rendez-vous
Avec la vie idéale

Un rendez-vous
Que tout être humain
Rêve de s'offrir ou de partager
Avec une personne chère et aimée

Au moins une fois dans sa vie

Désarmé
Qui qu'on soit
On est là médusé parmi la foule
Nostalgique
De ce qui sent déjà  la fin
D'un moment d'exception

Toute cette grandeur
Toute cette émotion
Qui me barraient la gorge à en pleurer
Sur l'Esplanade de San Miniato al Monte

Et bien je les ai vues ce soir là
Non dans l'apogée étincelante
Des nervures du dôme

Mais dans les yeux tristes et profonds
De ce vieil Africain
Et de tous ces inconnus rassemblés

Assis sur leur banc
Ou debout enlacés
Ils regardaient comme moi
Florence

Florence
Qui s'en allait au loin
Dans une vision intense
Vers l'horizon immense
D'un pays rêvé d'où personne ne revient


Cathy De Plée - Novembre 2018 

Conforts provisoires

J'aime me blottir au confort provisoire
D'une banquette de tram, assise au chaud
Entre deux dames, contemplant au hasard
D'une vitre un nez entre des gouttes d'eau

J'aime le gargouillis que font les tuyaux
Pour chauffer la maison quand vient le soir
Petite musique imitant le ruisseau
Qui susurre le filet d'une longue histoire

J'aime la lueur irradiante de l'halo
Qui attendrit les contours du brouillard
L'odeur d'un lit défait le matin tôt
Ou le chant du café dans la bouilloire

Minuscules et passagères caresses
Que d'aucuns jugent dérisoires Scories
D'existence louant la délicatesse
De vivre peu importe où mais ici

J'aime la probité de vos gestes
Qui témoignent d'une secrète harmonie
Et la manière dont vos baisers naissent
Et se glissent dans les interstices de la vie



Cathy De Plée - Novembre 2018

Mon époque

Je me dis souvent que je ne suis pas née à  la bonne époque.

Crachée des hauts parleurs à deux cents décibels, la musique d'aujourd'hui m'agresse. Comme me brûlent les tripes ce qu'on nous vend sous vide et toujours trop salé, toujours trop sucré, additionné de lettres impossible à  manger. Pour se déplacer, le combat des voitures est un bon résumé de l'esprit si petit qui fait chaque jour se lever nos milliards d'ennemis: on naît pour gagner, seul, et le plus vite possible la floche qu'au moulin il fallait déjà  attraper. Et la vie est si courte qu'il faut la consommer; à  fond les pots d'échappement et les pistes de décollage; à  fond les vitamines et les sels minéraux qui vont booster nos corps et shooter nos cerveaux. Quels que soient nos problèmes et nos ambitions, on trouvera toujours, et toujours nous trouveront les pilules plastiques capables de nous assainir et de nous renouveler. C'est la Science qui le dit du haut de sa chaire de vérité.
Alors sors de ton lit, fonce, et win, les dents et le poing serrés; prends des muscles dans une salle de sport; DETENDS-TOI en faisant du yoga; baise; sors; et prie un peu vu que la Science encore a montré que c'était bon pour toi.

Face à ça moi je suis un Indien; un Visiteur maladroit arraché de son monde qu'on regarde d'un oeil pers. Sans repères autres que ceux de son imaginaire tourné nostalgiquement vers l'Ancien, je vis en mes remparts, connectée à ces âmes qui hantent les châteaux, les églises et les parchemins.
Et je file et je vole des siècles et des siècles en arrière où il me semble avoir bien plus vécu que jamais.

Petit point posé sur une ligne du temps dont la flèche est tombée, je ne vois étrangement que derrière s'ouvrir et s'étendre l'allée familière d'une possible éternité.   

Cathy De Plée - août 2018

Âmes légères

                                                                                A mes soeurs, dans l'adversité

Petites âmes légères ignorantes des poids
Et mesures de la terre

Volez et tournez tout au bord de vos ailes
Et criez ce qui ne parvient pas

A faire de vous des êtres façonnés comme le sont
La plupart des corps

L'éther vous dessine diaphanes et lointaines
Prisonnières d'un voile

Bleuissant sur la pointe d'un éternel aurore
Vos contours se dérobent

Vos robe s'évaporent et coule dans vos yeux
La rivière de l'ailleurs

Vous dites n'avoir pas peur étranges fleur de lys
Les pétales de votre âme sont hautes

Au seuil de vos rivages vous ne cueillez pourtant
Que d'anxieuses caresses

Et quand froids sur le sable les flocons de vos corps
Fondent sans chaleur

Décharnées de tristesse vous pleurez qu'ils ne soient
Quelques gouttes de beurre


Novembre 2018-Cathy De Plée

Retour de vacances

La maison me paraît petite
Et les meubles mal assortis
Tissus usés, boiseries, sols, vitres
Tout semble couvert d'un fin glacis

Sont-ce mes yeux dépaysés
Qui flairent partout la poussière?
Cette odeur fade de vieux plancher
Et de murs qui ont manqué d'air?

L'absence dort sous un drap lourd
Qu'imbibe le vide d'une fausse fuite
L'immobile suspension des jours
Aurait donc effacé la suite!

Pourtant nous revoilà  ici
Parmi les bibelots blancs et morts
Brisant sans encore faire de bruit
L'épais silence qui les décore

Il pourrait neiger du plafond
Sur ce calme et profond hiver
Où gèlent les miroirs et fond
Ma pâle présence d'étrangère

Mon compagnon lui tarde moins
A imposer aux ombres lasses
La turbine de ses vas-et-viens
Et le gong des gestes efficaces

En quelques mouvements sa valise
A rejoint le haut de l'armoire
Et déjà  coule dans les prises
Le jus qui réchauffera nos soirs

Quant à moi il me faudra bien
Quelques jours avant de retrouver
Ma place. Ralentir le train
Vaincre la glace et déposer

Dans leur berceau mes alluvions
Alors enfin, page après page
Je calmerai mes émotions
Et laisserai s'éteindre mon voyage


Novembre 2018 - Cathy De Plée